L’évolution de l’officine passe par le déploiement des nouvelles missions. Bien que positive pour l'image de la profession, cette mise en valeur des compétences du pharmacien réclame cependant une nouvelle approche des ressources humaines. Un aspect sur lequel se penchent les experts FIDUCIAL, munis des statistiques de leur dernière étude.
Le Quotidien du Pharmacien: Lorsque l’on évoque les moyens humains dont a besoin une officine, les avis sont souvent partagés sur ce que serait l’équipe officinale idéale. D’après vos chiffres publiés récemment, quel est en ce domaine le profil de l’officine type ?
Philippe Becker : La pharmacie standard de notre étude 2020 réalise un chiffre d’affaires de 1 648 K€ et emploie 4.4 salariés équivalent temps complet (hors titulaire ou associés). Toujours selon nos calculs un salarié « produit » annuellement un chiffre d’affaires de 374 K€ soit une marge brute (toutes activités confondues) de 115 K€. Bien évidemment il s’agit d’une moyenne, il est en effet judicieux de comparer ce qui est comparable en tenant compte de la localisation et du mode d’exercice (individuel ou en association). A titre d’exemple, les officines rurales avec plusieurs associés réalisent la meilleure performance de notre étude avec un ratio de productivité de 412 K€ par salarié. Cela montre que chaque pharmacie a ses contraintes et qu’il est impossible de définir l’ «officine idéale ».
Le Quotidien du Pharmacien : Comment la productivité de la pharmacie standard a t-elle évolué au cours des dix dernières années ?
Christian Nouvel : En 2009, le ratio CA HT sur effectif salarié (hors titulaires) était de 302 K€, onze ans plus tard il est de 374 K€ soit une progression de 23% soit environ 2% par an dans un contexte déflationniste sur le médicament remboursable et une concurrence accrue sur les produits OTC et parapharmacie. Pour remettre ces chiffres en perspective entre 1998 et 2008, la progression avait été de + 37% mais dans une conjoncture complètement différente !
Le Quotidien du Pharmacien : Si le ratio frais de personnel reste à peu près stable (10,42% contre 10.67% en 2019), les salaires chargés augmentent plus vite que l’inflation soit + 2.5%. Quel est votre analyse sur ce point ?
Philippe Becker : Au-delà de l’effet mécanique des rattrapages de la revalorisation de la valeur du point, il y a aussi de nouveau des tensions sur le personnel qualifié. Ajoutons que dans beaucoup d’officines les efforts de rationalisation ont très certainement atteint une limite même avec l’utilisation du « temps partiel ». Il est donc fort probable que cette tendance perdure.
Le Quotidien du Pharmacien : Est-ce inquiétant ?
Christian Nouvel : Par forcément si il y a corrélation entre l’évolution annuelle de la marge brute et l’évolution des salaires ! Il faut avoir à l’esprit que les frais de personnel représentent 34 % de la marge brute moyenne en 2020 (31.76% du CA HT). Ce chiffre est à peu près stable depuis 5 ans mais il ne faut pas qu’il se dégrade !
Le Quotidien du Pharmacien : N’est-ce pourtant pas une certitude si les officinaux s’engagent vers les nouvelles missions qui sont par nature chronophages et nécessitent du personnel supplémentaire ?
Philippe Becker : C’est le défi des prochaines années ! Normalement il ne devrait pas y avoir de dégradation si la rémunération de ces nouvelles missions est correcte par rapport à l’investissement – il s’agit de personnel mais aussi de la création d’espace de confidentialité etc . Chacun a pu l’observer sur les 15 dernières années, lorsque les officinaux sont indemnisés de manière satisfaisante pour les efforts d’adaptation qu’ils doivent faire, cela marche : la substitution générique en est un parfait exemple, la vaccination un autre. La crise sanitaire a définitivement installé les nouvelles missions au sein de l'officine. On ne reviendra pas en arrière.
Le Quotidien du Pharmacien : Par conséquent, selon vous, si les nouvelles missions « plombent » le compte de résultats des officines, cela ne décollera pas !
Christian Nouvel : C’est le risque et ce serait dommage car c’est une orientation indispensable qui peut apporter aux patients en sécurité, aux pharmaciens en image positive et aux organismes de financement en économie. Les nouvelles missions, nous l’avons souligné plusieurs fois, c’est quelque part aller vers un nouveau modèle économique pour offrir progressivement plus de services – cela touche à l’organisation de l’officine, à la formation des équipes et à la gestion financière. Ce n’est pas simple et facile à mener donc il faut que le pharmacien y trouve sa contrepartie. La crise du covid 19 a montré que si les pharmaciens y trouvaient leur compte ils jouaient le jeu!
Philippe Becker : Il faut aussi insister sur le fait que les pharmaciens peuvent désormais proposer des services en dehors du champ conventionnel - il est évident que la tarification proposée devra intégrer le coût du personnel affecté à ces actions si le pharmacien ne veut pas détériorer ses résultats.
Le Quotidien du Pharmacien : Ce qui ne sera pas toujours facile tant les patients ont été habitués à ne rien payer !
Christian Nouvel : C’est vrai dans l’absolu ! il y aura sans doute des efforts de communication à faire et les titulaires devront être innovants pour que les patients trouvent une valeur ajoutée à ces nouveaux services. Le « gratuit » était possible lorsque les marges étaient confortables et progressaient chaque année aujourd’hui cela n’a plus de sens ! - de plus le « gratuit » est d’une certaine façon dévalorisant pour celui qui exécute la tâche et sans importance pour celui qui la reçoit …C’est bien pour cela que nous parlons d’un changement de modèle économique !