Abriter l’officine sous une SCI peut s’avérer appréciable à plusieurs égards, comme l’exposent Philippe Becker et Christian Nouvel, experts-comptables de FIDUCIAL.
Le Quotidien du pharmacien.- A-t-on toujours intérêt à constituer une SCI (société civile immobilière) pour y abriter son patrimoine professionnel ? Pourriez-vous par ailleurs rappeler ce qu’est une SCI ?
Philippe Becker.- Il s’agit d’une société de personnes avec au moins deux associés qui a pour vocation la gestion d’un ou de plusieurs biens immobiliers dont elle est propriétaire. On notera que les associés peuvent réserver à leur usage personnel et gratuit les biens détenus par la SCI. Dans le cas précis d’une officine, le choix est souvent fait de constituer une SCI pour loger les murs de la pharmacie. Dans cette hypothèse, la SCI donne à bail commercial les locaux dont elle est propriétaire à l’exploitant : le pharmacien ou la société qui détient l’officine.
Dans ce type de scénario, l’exploitant et l’un des propriétaires des parts sociales de la SCI sont la même personne. Ce montage assez classique trouve sa justification pour diverses raisons, dont la première, souvent oubliée, est la volonté de se protéger des créanciers en cas de faillite de l’entreprise locataire.
C'est-à-dire ?
Christian Nouvel.- En cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’entreprise locataire, dans le cas particulier la pharmacie, les locaux logés dans la SCI sont protégés du recours des créanciers car ils n’appartiennent pas à l’officine directement. Bien évidemment, cette situation complique les recours des créanciers qui ne peuvent saisir que les parts sociales ce qui rend leur action plus aléatoire. Au-delà de ce premier avantage, il faut également évoquer la possibilité pour le locataire exploitant de réduire son assiette imposable et ses cotisations sociales personnelles en versant un loyer à la SCI.
Dans ce cas, comment seront imposés les revenus locatifs que percevra la SCI ?
Philippe Becker.- Les revenus locatifs sont, sauf option pour l’impôt sur les sociétés, taxés au niveau de chaque associé pour la quote-part qui lui revient suivant le régime des revenus fonciers. Si la SCI est détenue par deux époux, le résultat locatif sera intégré dans leur déclaration de revenus personnelle, dans la catégorie des revenus fonciers.
Pourriez-vous rappeler le mode du calcul du résultat locatif ?
Philippe Becker.- Le résultat est déterminé par la différence entre les recettes locatives de la société et les charges afférentes à l’immeuble, auxquelles s’ajoutent les frais de gestion et, le cas échéant, les intérêts des emprunts pour l’acquisition ou les travaux. Il est aussi utile de rappeler que, s’agissant de la location de murs nus, les associés de la SCI auront la faculté d’opter pour la TVA.
Quel en est l’avantage ?
Philippe Becker.- Il sera ainsi possible de récupérer la TVA sur les travaux et les rénovations payés par la SCI. Bien évidemment, le loyer sera facturé au locataire avec TVA. Ceci ne constitue cependant pas de problème dans la mesure où le pharmacien exploitant, ou sa société, y étant assujetti de plein droit, la déduira de la TVA collectée sur leur chiffre d’affaires.
Par conséquent, la SCI facilite-t-elle la constitution d’un patrimoine immobilier ?
Christian Nouvel.- Elle représente en effet un bon outil pour cela. D’une manière générale, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, dans le patrimoine du pharmacien, l’immobilier professionnel est la « quille du bateau ». En d’autres termes, c’est un placement assez sûr qui bénéficie d’une fiscalité assez légère en matière de plus value, pour peu que l’on conserve le bien sûr le long terme. Enfin, c’est un moyen excellent d’avoir un complément de revenu lors de la retraite. En faisant financer l’opération par l’exploitation, on s’assure une optimisation par l’effet de levier fiscal et social ! Au-delà de ce simple constat, en étant propriétaire des locaux via une SCI, le pharmacien a toute liberté, dans le respect des règles d’urbanisme et du code la santé publique, de réaliser les aménagements qu’il juge utiles et profitables pour le développement de son officine. Il n’y aura pas d’autorisation à demander à un bailleur grincheux…
Philippe Becker.- Cela étant précisé, concernant la fixation des loyers qui seront à la charge de l’officine, il faudra garder raison, le pharmacien avec l’aide de ses conseils devra arbitrer entre les besoins de financement mensuels de la SCI, c'est-à-dire le montant du remboursement de l’emprunt d’achat des murs et les charges directes de propriété, et les loyers au m² constatés sur le marché local.
La SCI peut-elle aussi être un outil pour transmettre son patrimoine professionnel à ses enfants ?
Christian Nouvel.- C’est l’un des charmes de la SCI : l’actif est divisé en parts sociales qui sont par nature liquides et faciles à répartir entre plusieurs enfants. Cette situation qui permet d’éviter le risque bien connu de l’indivision est une des raisons du succès des SCI en France. Il faut rappeler que dans une indivision toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité, d’où une probabilité de blocage en cas de mésentente, ce qui n’est pas propice à la bonne conservation du bien immobilier. Au-delà de ce constat, il faut avoir à l’esprit que le barème des droits de succession monte vite et qu’un immeuble professionnel situé dans une grande ville peut avoir une valeur importante, d’où un impact fort en matière de droits à payer.
D’où l’idée d’anticiper la transmission ! Dans ce contexte, doit-on privilégier la vente ou la donation ?
Philippe Becker.- Il est possible de combiner les deux en fonction des besoins financiers du pharmacien. Ainsi, il peut être intéressant de donner les parts sociales représentatives de l’immeuble professionnel en plusieurs fois et ainsi, par l’échelonnement, de bénéficier de l’abattement sur les droits de 100 000 euros applicable entre parents et enfants, sous réserve de respecter un délai de 15 ans entre chaque opération. Il est aussi possible de ne donner que la nue-propriété et de garder l’usufruit. Toutes ces opérations nécessitent l’aide d’un notaire ou d’un avocat car il faut en mesurer toutes les incidences.
Quelles sont les obligations juridiques, comptables et fiscales si on décide de créer une SCI pour y positionner son immeuble professionnel ?
Philippe Becker.- Les obligations ne sont pas importantes si la SCI détient un seul immeuble. Il faut néanmoins faire une comptabilité si l’on est au régime du réel d’imposition et transmettre chaque année une déclaration fiscale 2072 au fisc qui détaille le calcul du résultat locatif. Il faudra aussi réunir chaque année une assemblée qui sera matérialisée par un procès-verbal d’approbation des comptes et d’affectation du résultat.
Propos recueillis par Marie Bonte