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La cession d’une officine est une situation que bon nombre d’adjoints rencontrent au cours de leur carrière professionnelle, parfois même à plusieurs reprises. Ces changements de situation sont rarement simples et doivent répondre à certaines règles.
C’est souvent la méconnaissance des droits et des devoirs de chacun qui peut amener une simple situation de rachat d’officine à devenir un cauchemar. Mais un peu de bon sens permet aussi de vivre ce moment le moins difficilement pour tout le monde.
Comme le prévoit l’article L 1224-1 du code du travail, lorsque l’officine est vendue, « le nouveau titulaire est obligé de reprendre le personnel sans modifier les relations contractuelles existantes, sauf accord des salariés », rappelle Philippe Becker, directeur du département Pharmacie de FIDUCIAL. « En d’autres termes, on ne peut modifier les rémunérations, on doit reprendre les anciennetés, on doit continuer à verser les primes si elles sont régulièrement payées, etc. C’est l’application stricte du principe posé par le législateur de la poursuite de contrats de travail en cours. »
Dans la pratique, le nouveau titulaire va devoir s’acclimater à son officine et sa patientèle, il est donc avantageux pour lui de bénéficier des connaissances de l’équipe déjà en place. Il garde néanmoins le droit de licencier si le motif est réel, par exemple « pour faute de l’employé ou pour raison économique impérieuse ; le rachat en lui-même ne constitue jamais une raison, et par conséquent les juges veillent à ce que le licenciement dans un tel contexte ne constitue pas un détournement de procédure ayant pour but de faire échec à la poursuite des contrats de travail », ajoute Philippe Becker.
L’expert-comptable conseille donc de suivre scrupuleusement le « formalisme prévu par les textes, sous peine d’une requalification par le juge en licenciement irrégulier ». Et en cas de recours de l’employé licencié à la justice, le titulaire aura tout intérêt à faire appel à un avocat spécialiste du droit du travail car « la jurisprudence est à la fois complexe et mouvante, ce qui était vrai hier ne l’est parfois plus le lendemain ».
Parmi les nouvelles règles auxquelles les titulaires ne peuvent déroger, celle d’informer son équipe dès que le souhait de cession est entériné est particulièrement importante. Il s’agit du « droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise », entré en vigueur le 1er novembre 2014, et qui prévoit notamment que la réalisation de la cession ne peut intervenir avant un délai de deux mois après que tous les salariés ont été informés, mais doit avoir lieu dans les deux ans. Cette transparence permet ainsi aux adjoints qui aimeraient justement reprendre l’officine de se placer prioritairement à tout autre acheteur. Il faut néanmoins préciser que le cédant est totalement libre d’entrer ou non en négociation avec un ou plusieurs de ses salariés. L’adjoint qui souhaite racheter l’officine n’est donc pas prioritaire par rapport à un autre repreneur, il peut simplement signaler son intérêt de façon prioritaire.
Cette information permet aussi à l’ensemble de l’équipe de se positionner dans le cadre de son travail et de ses désirs d’évolution : c’est l’occasion de se remettre en question. « Au niveau ordinal nous sommes dans une démarche qui doit favoriser la notion de holding et de prise de participation progressive des adjoints au capital en attendant de devenir titulaires. Nous encourageons donc les démarches de transparence de toutes parts lorsqu’il y a un changement de titulaire », indique Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D de l’Ordre national des pharmaciens.
Cela n’a pas été le choix de Monique Favreau, pharmacienne adjointe à Tours (Indre-et-Loire), travaillant dans la même officine depuis 1982. Lorsque la titulaire a décidé de vendre, elle lui a d’abord proposé de reprendre la pharmacie, mais l’adjointe n’était pas intéressée. Puis, lorsque des repreneurs se sont présentés, Monique Favreau a été régulièrement informée, notamment sur leur projet de conserver son poste d’adjointe ou pas. Finalement, la pharmacie a été vendue en 2006. « J’avais demandé à conserver au moins 20 heures de travail par semaine, la nouvelle titulaire était d’accord. Finalement mon temps de travail a rapidement augmenté, d’abord parce que la titulaire a eu des problèmes de santé, donc je me suis chargée de la remplacer, et ensuite parce qu’elle s’est séparée de la préparatrice parce qu’elles n’arrivaient pas à s’entendre. » Monique Favreau, appréciée des clients, est vite devenue le pilier de la pharmacie.
Cependant, au bout de cinq années, la nouvelle titulaire a jeté l’éponge. « Là encore, j’ai été informée concernant les éventuels repreneurs. La pharmacie a été rachetée par une jeune titulaire qui adhère à un groupement, ce qui a fait énormément évoluer l’officine. » Monique Favreau en parle avec plaisir. Lorsque la pharmacie a été reprise en 2011, le personnel se résumait à sa personne et la nouvelle titulaire. Aujourd’hui, l’équipe s’est étoffée de quatre préparatrices, une apprentie et deux rayonnistes. « L’officine n’a pas été agrandie mais le chiffre d’affaires est monté en flèche, la fréquentation aussi. Le fonctionnement de la pharmacie est totalement différent, ce qui a modifié aussi mon travail puisqu’il faut davantage manager les autres. C’est surtout moi qui m’en charge pendant que la titulaire s’occupe de tout ce qui est administratif. »
Désormais à 35 heures semaines, l’adjointe est satisfaite de l’évolution de son poste et de sa pharmacie, qui est passée doucement de la petite pharmacie de quartier à une officine de grande fréquentation, même s’il reste un noyau dur de clients que Monique Favreau connaît depuis toujours. « La cession a été bien vécue pour ma part, d’autant que je m’entends très bien avec la titulaire, et la proposition de passer à temps plein est intervenue au bon moment car ma vie familiale me le permettait. »
Fragilité de l’emploi
Des cessions moins bien vécues existent, mais il est plus difficile de faire parler les adjoints dans ces cas-là. Soit parce qu’ils craignent que leurs propos soient lus par les autres membres de leur équipe, et notamment par leur titulaire, soit parce qu’ils ont engagé une procédure lourde pour faire valoir leurs droits. « L’un des problèmes les plus courants qui se posent aujourd’hui c’est la reprise d’une officine par deux (ou plus) titulaires associés, d’où une menace sur le poste de l’adjoint en place. J’ai malheureusement plusieurs exemples où les choses ne se sont pas déroulées convenablement, où on pousse doucement l’adjoint vers la porte, et, si ça ne fonctionne pas, on le pousse alors à la faute », relate Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de FO-Pharmacie.
Mais de lui-même, il reconnaît que sa connaissance de ces dossiers n’est pas forcément représentative de ce qui se passe dans la profession, car on a tendance à s’adresser à lui uniquement en cas de problème. « Ce dont je suis certain c’est de la plus grande fragilité de l’emploi aujourd’hui avec 7 % d’adjoints actuellement en recherche d’emploi, ce qui est supérieur à tout ce qu’a connu la branche pharmacie depuis trente ans. C’est un taux supérieur à celui des cadres pris dans leur globalité, qui tourne autour de 4-5 %. Le secteur de l’officine ne va pas bien, alors on racle de tous côtés et supprimer un poste est la solution la plus simple pour faire baisser les charges d’une entreprise. »
Les situations de cession difficiles à vivre pourraient peut-être se résoudre avec la prise de participations des adjoints qui souhaitent reprendre progressivement l’officine. C’est en tout cas vers ce schéma que l’Ordre des pharmaciens aimerait que les officinaux se dirigent. « Dans cette hypothèse, il faut savoir s’imposer et ce n’est pas toujours facile lorsqu’on passe du statut de collègue à celui de patron. C’est la raison pour laquelle un adjoint doit toujours intégrer mentalement cet aspect des choses lorsqu’il est embauché dans une pharmacie. Il doit se projeter dans le futur en se disant qu’il sera peut-être un jour le titulaire… Savoir créer une certaine "distanciation" avec les autres salariés sans prendre la grosse tête, c’est le challenge à relever », souligne Philippe Becker.
« Mais, dans tous les cas, un changement peut toujours être un nouveau départ, l’occasion de proposer de nouvelles idées pour l’officine, pour le plan de formation, etc. », remarque Jérôme Parésys-Barbier. C’est aussi l’idée d’Olivier Clarhaut : « Il faut que chacun des membres de l’équipe parvienne à tirer le meilleur parti du changement. »