L'article 23 de la loi de finances pour 2022, modifiant l'article 39 du CGI, prévoit la déduction fiscale de l'amortissement des fonds commerciaux acquis entre 2022 et 2025. Pourquoi une telle mesure ? Quel est l'impact réellement attendu sur les opérations d'acquisition de fonds de commerce dans le contexte de sortie de la crise sanitaire ? Y a-t-il un réel intérêt pour le repreneur ?
Nous allons aborder ces différents points et essayer d'apporter un regard pratique aux conséquences de cette nouvelle règle fiscale.
Une pomme de discorde de longue date entre comptabilité et fiscalité
Rappelons tout d’abord que le fonds commercial est une composante du fonds de commerce, dont il représente la valeur de la clientèle, de l’enseigne, du nom commercial et des parts de marché notamment.
Sur le plan comptable, il s’agit d’un actif incorporel qui est présumé avoir une durée d’utilisation illimitée (art 214-3 du PCG). Ce postulat le rend donc non amortissable.
En pratique, cela signifie qu’une fois le fonds acquis, aucune dotation aux amortissements ne sera comptabilisée pour constater la perte de valeur irréversible liée à l’outrage du temps qui passe.
Néanmoins, une évaluation de la valeur « marchande » du fonds commercial en question doit être faite tous les ans afin de constater une éventuelle dépréciation d’actif.
Dans certains cas exceptionnels, le fonds commercial peut avoir une durée d’utilisation limitée. Cette situation justifie alors que le bien soit amorti sur sa durée d’utilisation, ou sur 10 ans si cette durée ne peut pas être déterminée de manière fiable.
Les petites entreprises bénéficient également d’une disposition spécifique pour l’amortissement de leur fonds commercial.
En effet, elles peuvent opter pour la mesure comptable dite de simplification qui leur permet d’amortir sur 10 ans leur fonds commercial (art 214-3 du PCG) sans avoir à justifier d’une durée d’utilisation limitée. Pour cela, elles doivent simplement respecter la définition de « petite entreprise », à savoir ne pas dépasser 2 des 3 seuils suivants :
- 12 millions d’euros de chiffre d’affaires 6 millions d’euros de total bilan
- 50 salariés
Cette mesure acceptée et proposée sur le plan comptable n’était par contre pas reconnue fiscalement jusqu’alors. En effet, sur le plan fiscal, un élément d’actif incorporel comme le fonds commercial, ne se déprécie pas de manière irréversible avec le temps. Il peut simplement donner lieu à la constitution de provisions pour dépréciation.
Ce n’est que dans les cas rarissimes où il est prévisible à la date d’acquisition du fonds commercial que ses effets bénéfiques sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée qu’il est possible de déduire fiscalement l’amortissement.
Dans ce contexte où comptabilité et fiscalité ne faisaient pas bon ménage jusqu’alors, la loi de finances pour 2022 apporte une dérogation provisoire au principe de non déductibilité de l’amortissement des fonds commerciaux.
En effet, l’article 39 du CGI prévoit désormais que « sont admis en déduction les amortissements constatés dans la comptabilité des entreprises au titre des fonds commerciaux lorsqu’ils sont acquis à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025 ».
Cette mesure concerne donc tous les fonds commerciaux acquis sur la période précisée par une entreprise qui relève soit de l’impôt sur les sociétés, soit de l’impôt sur le revenu suivant le régime réel, et dont les résultats relèvent des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et du plan comptable général.
Il s’agit cependant d’une adaptation temporaire du traitement fiscal de l’amortissement comptable. Il est donc nécessaire de pratiquer en premier lieu un amortissement comptable qui sera reconnu comme une charge déductible du résultat fiscal.
De plus, pour éviter une double déduction sur le plan fiscal, la loi de finances prévoit les conditions dans lesquelles s’articuleront les amortissements et les provisions pour dépréciation.
Concrètement, est-ce une bonne nouvelle pour les repreneurs ?
L’intérêt de la mesure consiste à réduire le coût global de l’acquisition pour les entreprises qui pratiqueraient cet amortissement en leur apportant une réduction d’impôt générée par la déductibilité de cette charge.
Prenons un exemple chiffré
Une entreprise soumise à l’IS acquiert en 2022 un fonds commercial pour une valeur de 200 000 € qu’elle souhaite amortir sur 10 ans.
Son résultat avant impôt et avant dotation aux amortissements est de 20 000 €.
Avant la mesure, cette entreprise aurait pu se prévaloir de la mesure de simplification des petites entreprises et constater comptablement une dotation aux amortissements de son fonds commercial pour 20 000 €.
Mais cette charge n’étant pas reconnue sur le plan fiscal, le résultat imposable serait toujours de 20 000 € et donnerait lieu à une imposition à hauteur de 15 %, soit 3 000 € d’IS. Compte tenu de la mesure, cette entreprise peut déduire comptablement et fiscalement une dotation aux amortissements de son fonds commercial pour 20 000 €.
Le résultat comptable et imposable est alors nul et ne donnera lieu à aucune imposition, soit une économie annuelle de 3 000 € ce qui représente à l’issue de la période d’amortissement de 10 ans, une économie totale de 30 000 €.
Pour les petites entreprises qui acquièrent un fonds commercial pour la première fois, cette mesure ne devrait a priori pas poser de difficultés particulières.
Par contre, pour celles qui possèdent un fonds commercial acquis avant 2022 et non amorti, et qui acquièrent un nouveau fonds commercial entre 2022 et 2025, le bénéfice de cette mesure peut être à double tranchant.
En effet, si, pour bénéficier de l’amortissement déductible sur cette acquisition, l’entreprise opte pour la mesure de simplification avec un amortissement sur 10 ans déductible ; cette mesure doit être appliquée de manière prospective à tous les fonds commerciaux inscrits au bilan au moment de son adoption.
Concrètement l’entreprise devra alors amortir le fonds acquis avant 2022 sans que cet amortissement soit déductible fiscalement ce qui va grever son résultat comptable sans lui faire bénéficier de l’économie d’impôt afférente.
En conclusion
Cette mesure reste avant toute chose un avantage fiscal qui ne doit pas faire oublier qu’en cas de reprise d’un fonds commercial, celui-ci doit être un véritable levier de création de valeur pour le repreneur. Néanmoins, cette mesure pourra peut-être faciliter dans certains cas les décisions de reprise d’activité et alléger leur financement.